Salut les teuffeurs et désolé pour ce petit retard d'envoi. Le Vol.4 est là ! Aujourd'hui, on s'en va pour un petit voyage hypnotique et mélancolique. On monte le son du casque et c'est parti.


Ça y est on y est. C’est l’automne, les feuilles tombent petit à petit, les fioritures estivales s’en vont et ça nous laisse le squelette des arbres à contempler. Wow, une métaphore bien sordide pour introduire ce Vol.4 mais vous allez comprendre pourquoi.
Aujourd’hui, on part en balade champêtre au début des années 2000 pendant ce qu’on pourrait appeler : l’automne de la techno. Après plus de 10 ans de teuf, de couleurs flashy et d’extase, il y en a quelques-uns qui commencent à se lasser. Ils trouvent que la techno a tendance à se perdre à force de vouloir faire bouger des culs à tout prix. On entend beaucoup de musique électronique commerciale à la radio et pas mal d’artistes se disent que tout compte fait c’était mieux avant. Ils souhaitent renouer avec l’identité répétitive, dépouillée et entêtante du genre. Exit les piano, les vocals et les effets inutiles. On revient à l’os, à l’essentiel, aux quelques notes qui suffisent pour créer cet effet de balancier qui donne envie de bouger.
Philosophiquement, on n’est pas très loin de la phrase de Saint Exupéry ou du Head of design d’IKEA je ne sais jamais : « On atteint la perfection lorsqu’on ne peut plus rien retirer. » A cet état d’esprit s’ajoute aussi une volonté de retrouver la dimension mélancolique très typique du genre. Car oui, à la base, la techno n’est rien d’autre qu’une version moderne du blues et de la soul. Une musique noir américaine qui sert d’exutoire à une classe opprimée par le racisme et condamnée à la pauvreté.
Pour comprendre la vague minimale, il faut donc revenir aux origines de la techno. A Détroit au milieu des années 80, quand 3 potes du lycée Belleville situé en banlieue de la Motor City se rencontrent. Juan Atkins, Derrick May & Kevin Saunderson. Tous les trois partagent la même passion pour l’éclectisme musical. De Kraftwerk à Prince en passant par Parliament, ils sont des disciples du « Electrifying Mojo », le DJ Radio qui officie sur l’antenne locale WGPR. Poussés par Juan, Derrick & Kevin vont se mettre rapidement à triturer les boites à rythme et à apprendre le DJying. C’est le début des « Home Studios » grâce auxquels il n’est plus essentiel de faire appel à un label tenu par des millionnaires pour faire de la bonne musique. Plutôt pas mal quand on vit dans une ville post-industrielle, ravagée par la pauvreté où les inégalités explosent. Et voilà, encore une fois les planètes s'alignent pour bouleverser l’ordre musical établi. Cette fois avec un savant mélange de groove Disco/Soul inspiré du cultissime label Motown Records, de structures répétitives empruntées à la musique classique contemporaine (Steve Reich, Terry Riley) et de beat électronique à la Kraftwerk.
C’est Juan Atkins qui va mettre en premier le nom techno sur sa musique avec son titre Techno City. Celui qui sera surnommé ensuite « The Godfather of Techno » va créer l’étincelle et embarquer avec lui ses deux potes dans l’aventure. Les créations de Derrick May avec son album The Innovator (et le sublimissime Strings of Life) et Kevin Saunderson avec son groupe Inner City vont finir de poser les principes fondateurs du style. Un beat 4/4, entre 120 et 130 battements par minute, un « boom » de grosse caisse, un « schack » de caisse claire. Le fameux « Boom Boom » que ta mère déteste et qui te tient éveillé des heures dans un hangar. C’est plus robotique et moins suave que la House de Chicago mais c’est ce qu’il faut pour faire passer toute la hargne, la mélancolie et aussi l’espérance d’une bonne partie de la jeunesse des années 80, 90 et 2000.
Oui parce que dans les épisodes précédents on a parlé de l’explosion de l’Acid, de la Trance et de l’Eurodance pendant la même période, mais tous ces styles ne sont en réalité que des sous-genres de techno. Ils respectent à peu près la même structure que les morceaux techno. La seule grosse différence c’est le nombre de couches, d’effets, de vocals qu’on rajoute dessus.
A la fin des années 90 des artistes comme Basic Channel, Robert Hood et Richie Hawtin vont décider de revenir aux bases en enlevant toutes ces couches. Il s’en dégage une musique beaucoup plus austère et conceptuelle. Beaucoup plus mentale aussi. Si il fallait résumer tout ça par une image, le teufeur typique passe d’une sorte de prof de bikram version Love Parade à un post-punk vêtu de noir qui n’esquisse jamais de sourire et qui fait la queue devant le Trésor. Et oui ! On revient ENCORE à Berlin, et pas seulement pour la métaphore vestimentaire, mais car la capitale allemande va devenir le temple de minimale. Where else ? A l’époque c’est la ville arty/pointue par excellence, les loyers à l’Est sont abordables et les gros producteurs américains qui ont fait décoller la techno à Détroit vont venir la réinventer à Berlin. Robert Hood fait des sorties sur le label du Tresor, Richie Hawtin y déménage pour lancer son label M-Nus, Juan Atkins s’associe dans ses productions à un des membres fondateurs de Basic Channel : Moritz Von Oswald.
Un courant artistique démarre et forcément les talents locaux vont aussi y prendre part. C'est le cas de la productrice Ellen Allien, patronne du label Bpitch Control créé en 97 sur lequel elle signera, quelques années plus tard, la légende minimale Paul Kalkbrenner. Cette équipe sera vite accompagnée d’un autre label MONUMENTAL. Le label d’un des clubs les plus légendaires du monde (celui où le videur te dit "Nein" 9 fois sur 10, tu sais). Le label qui sortira les productions des deux patrons Ben Klock & Marcel Dettmann. OSTGUT TON. Sur la liste des 5 labels techno qui ont marqué l’histoire, Ostgut Ton a toute sa place.
Avec ces illustres noms derrière les platines, la scène allemande va totalement dominer l’underground des années 2000 et 2010. Wolfgang Voigt, Ricardo Villalobos, Maurizio, Minilogue, Dominik Eulberg. La minimal a ses artistes et ses lieux : Club der Visionaere, About Blank, Griessmuehle et, évidemment, le Berghain. Le film Berlin Calling ne fera qu’asseoir définitivement l’esthétique de la teuf berlinoise de l’époque : mélancolique et sans limite. Berlin devient alors le passage obligé de toute une génération de jeunes teuffeurs pendant leur
Interails. Un livre ouvert pour les fans de techno.
A l’époque où Berlin explose, Paris s’endort. La vague French Touch est finie, les soirées Respect de David Blot aussi, il ne reste que quelques clubs comme le Rex où on peut encore écouter de la techno. Pour stopper la morosité, pas mal de collectifs se créent au début des années 2010 avec un objectif clair : ramener l’ambiance des clubs berlinois en France, à l’image des collectifs BP (aka Berlinons Paris) et Die Nacht. Rapidement ils vont être rejoints par la bande de Brice Coudert qui organise les soirées Twsted avant qu’elles ne soient rebaptisées Concrete. INCONTOURNABLE.
En quelques mois, Concrete va ramener l’ambiance béton, warehouse et minimale à Paris. Ses DJs résidents comme François X et Antigone vont devenir des pilliers de la scène française et le festival Weather finira de démocratiser cette musique hypnotique. À partir de là, la machine parisienne est relancée, le nombre de collectifs explose (Alter Paname, Fée Croquer, 75021, Possession), les festivals techno aussi (Peacock notamment). Aujourd’hui la Concrete n’existe plus mais la scène parisienne actuelle lui doit beaucoup, à peu près tout en fait.
C’est tout pour aujourd’hui. À la prochaine !